par Abdulaziz et Océan

Pour notre reportage, nous avons contacté Thibault Chabin, ingénieur en neurosciences à l’université de Besançon et chercheur pour le CHRU. En pleine expérimentation sur les liens entre la musique et les émotions, il n’a pu y participer. Cependant, il a répondu très gentiment et très rapidement par écrit aux questions que nous souhaitions lui soumettre.

Qu’il en soit une nouvelle fois remercié !

Source : experimentarium.fr

Classe média : En quoi consiste votre métier ?

Thibault Chabin : Le métier de chercheur à l’hôpital dans le domaine des neurosciences consiste à travailler avec les praticiens hospitaliers, dans notre cas plus particulièrement les médecins psychiatres et neurologues, pour répondre à des problématiques qu’ils peuvent rencontrer avec des patients. Notre rôle est de mettre en place des protocoles de recherche dans lesquels des patients et parfois des personnes non malades sont inclues, pour répondre à une question de recherche grâce à une expérience qui utilise des techniques d’enregistrement de l’activité cérébrale (Imagerie à résonance magnétique = IRM, électroencéphalographie = EEG, stimulation transcrânienne = tdcs etc).

Par exemple à Besançon nous essayons d’améliorer le diagnostic pour des patients atteints de la maladie d’Alzheimer en mesurant de manière objective leur activité cérébrale lors de l’écoute de chansons pour évaluer la mémoire musicale et l’apprentissage de ces nouvelles chansons. Habituellement le diagnostic est réalisé par questionnaires et entretien avec le psychiatre (=subjectif).

Pour la maladie de Parkinson, nous allons essayer de comprendre quels bienfaits la musique peut avoir sur certains symptômes de l’humeur et des symptômes moteurs. Nous sommes aussi très en lien avec l’université et nous menons aussi des recherches que l’on qualifie de plus « fondamentales » donc qui ne sont pas appliquées à une pathologie spécifique mais qui permettent de faire avancer la connaissance générale de certaines fonctions cognitives (prise de décision, sensibilité à la récompense, attention, mémoire etc) ou de certaines parties du cerveau en lien avec ces fonctions. Ce sont des connaissances importantes pour ensuite comprendre les déficits de ces fonctions cognitives dans les pathologies liées au cerveau. Par exemple pour savoir comment mesurer la mémoire musicale, ou les émotions musicales, des étapes avec des sujets dits « sains » (sans pathologies) sont nécessaires pour connaitre les bons paramètres, le fonctionnement normal du cerveau et le réaliser ensuite avec les patients dans divers contextes.

Classe média : Quelle est votre formation ?

Thibault Chabin : Comme la plupart des chercheurs j’ai une formation classique du système universitaire français (LMD). Après un baccalauréat scientifique, j’ai fait une licence spécialité biologie cellulaire et physiologie à Dijon (3 ans) et un master de Neurosciences spécialité recherches à Besançon (2 ans) puis un doctorat de Neurosciences à l’Université de Bourgogne Franche Comté (3 ans).

Classe média : Quelle place la musique tient-elle dans votre vie? et à l’adolescence?

T. B : Je suis musicien, issu d’une famille de musiciens. La musique a toujours été très importante depuis mon enfance, je suis allé au conservatoire de 8 à 18 ans (euphonium) et je suis bassiste, j’ai eu plusieurs groupes depuis le lycée. Actuellement, je suis musicien à l’Orchestre Symphonique Universitaire. J’assiste à des concerts et festivals régulièrement et j’écoute de la musique plusieurs heures par jour. Mais je pense qu’il n’est pas nécessaire d’être musicien pour mener des recherches sur la musique ou qui utilisent la musique, certains collègues ne le sont pas et sont tout aussi impliqués dans les projets.

C.M: Pourquoi ces recherches aujourd’hui ?

T.C : Le développement de nouvelles technologies dans la recherche, notamment des systèmes qui permettent d’enregistrer l’activité cérébrale de plusieurs personnes en même temps et dans des conditions naturelles (hors du laboratoire dans une salle de concert par exemple) permettent de mettre en place des recherches qu’il était beaucoup plus difficile de réaliser techniquement il y a quelques années et surtout beaucoup plus coûteuses. Ces nouvelles technologies nous ont permis de mener les expériences que nous avons réalisée lors du Concours International des Jeunes Chefs d’Orchestre de Besançon, lors desquelles nous avons mesuré les émotions musicales de nos participants sur le plan physiologique (activité cardiaque, activité de la peau), sur le plan cérébral (enregistrement des ondes cérébrales avec un électroencéphalogramme) et sur le plan comportemental (indiquer les émotions en temps réel sur un téléphone). Cela permet d’aller plus loin dans la compréhension de mécanismes liés à l’aspect social de la musique, soit l’influence de vivre des situations en groupe et comment cela peut affecter nos expériences émotionnelles.

C. M : Quelles ont été vos découvertes?

T.C. : Pour faire simple, le résultat le plus intéressant et intriguant que nous ayons obtenu suggère que des gens qui assistent ensemble à un concert sont plus susceptibles de ressentir des émotions similaires au même moment plus ils sont proches physiquement. En plus, nous avons remarqué que les personnes les plus proches physiquement avaient une activité cérébrale similaire, semblable, lorsqu’elles reportaient des émotions fortes en même temps. Cela pourrait suggérer que même en l’absence d’interactions sociales directes (par le langage par exemple) il pourrait se produire une sorte de connexion émotionnelle entre les gens et éventuellement une sorte de transmission des émotions par le regard et peut être d’autres facteurs encore inconnus qui amènent les gens à se synchroniser.

C.M : Ont-elles des effets sur l’enseignement de la musique, sa place à l’école?

T.C. : Nos recherches à Besançon n’ont pas de finalité pour l’enseignement de la musique ou de visée éducative spécifiquement mais d’autres recherches dans le monde montrent depuis des années les bienfaits de l’apprentissage de la musique durant l’enfance. Il peut y avoir des bénéfices sur le développement du langage, sur le développement de certaines capacités d’apprentissage, la mémoire, l’attention, les capacités motrices, ou même sur les capacités sociales et émotionnelles (sympathie, comportements tournés vers les autres, etc).

C.M.: Y a-t-il des pays plus avancés que la France pour l’enseignement de la musique?

T.C : Ce n’est pas du tout ma spécialité mais sans doute que certains pays ont des systèmes d’enseignement très performants même si je pense qu’en France de très bons musiciens professionnels et amateurs sont formés.

C.M: Nous avons lu quelques informations sur la musique et les émotions. Comment s’est déroulée l’expérience? Avec quel matériel? Avec quelles personnes?

T.C: La recherche sur les neurosciences de la musique a beaucoup avancé ces 20 dernières années. Nous avons découvert qu’au-delà des émotions musicales (joie, peur, tristesse etc) qui peuvent être perçues dans la musique ou même ressenties, la musique provoque du plaisir. Des hormones comme la dopamine et des circuits cérébraux spécifiques sont impliqués dans le plaisir musical. Ce qui est étonnant c’est que ces circuits sont également ceux qui sont très importants sur le plan évolutif (qui nous ont permis de survivre depuis l’apparition de l’homme) donc qui sont à la base des comportements motivés et du plaisir en général (la reproduction, la nourriture, les récompenses dites secondaires comme l’argent etc). Cependant, à première vue, la musique n’a pas d’avantage évident pour la survie. Nous nous demandons pourquoi elle peut être aussi importante pour l’homme et procurer autant de plaisir. Nos expériences visaient à comprendre en partie la transmission des émotions ou du plaisir musical entre les gens qui vivent une situation en commun. Des volontaires qui avaient réservé des places pour le concours de chefs d’orchestre ont répondu à une annonce et sont donc venus assister au concert de manière classique mais équipés de divers capteurs (voir photos plus bas). Nous avons enregistré leur activité cardiaque (a), l’activité de la peau (a), leurs ondes cérébrales (b) et leurs émotions subjectives sur un téléphone, ce qui permet d’avoir un ensemble de données complet. Le but était de mesurer l’impact de l’aspect social. Les quelques résultats majeurs sont décrits plus haut.

  1. Capteur physiologiques
  1. Electroencéphalogramme mobile

C.M :Vous nous avez dit être sur une expérience en ce moment. Quelle est cette expérience ?

T.C. :Actuellement nous faisons des expériences pour essayer de comprendre l’importance de différentes caractéristiques musicales dans la mise en mémoire de chansons (accompagnement instrumental, paroles, mélodies, ou l’ensemble des composantes réunies). Il s’agit d’enregistrer les ondes cérébrales de participants lorsqu’ils écoutent des chansons qu’ils ne connaissaient pas, qu’ils ont apprises pendant une semaine ou des chansons qu’ils n’ont réellement jamais entendues. Nous incluons des périodes de silence et nous mesurons les réponses du cerveau lorsque le silence survient, en séparant les différentes composantes évoquées plus haut. Nous essayons de comprendre la part de chacune dans l’apprentissage.

Interview réalisée en juin 2021

Source : l’Est républicain